

Mon petit manège n’aura pas duré longtemps. C’est dommage car que je prenais un malin plaisir à intimider ces aventuriers d’un jour qui osaient vouloir stationner devant chez moi; en leur montrant, à ma façon, que non, ils n’étaient pas les bienvenus, à frôler ainsi les limites de notre terrain de la rue du Loup sans au moins en payer le juste prix. À choisir, c’était quand même mieux que de passer ses matinées à rayer les portières des voitures intruses. Et, généralement, ça fonctionnait plutôt bien: rares étaient ceux qui acceptaient mon offre de vouloir stationner devant chez moi après m’avoir vu grimper sur le capot de leur voiture. La plupart préféraient partir sans demander leur reste. Mais voilà, tout ça c’est du passé. Car hier, on m’a volé mon cône orange. Et je suis inquiète.
Je suis inquiète car, désormais, les inconnus qui circulent sur ma rue peuvent à peu près tout se permettre. Sonner à notre porte, même. Vous vous imaginez! Ce n’est pas ce que Sébastian et moi aurions souhaité. En effet, mon mari et moi nous vivons dans la discrétion la plus absolue. Nous sortons peu, si ce n’est que pour faire les courses. Et préférons nous enfermer dans notre bunker tout confort qui jouxte notre maison de la rue du Loup afin de vaquer en toute quiétude à nos boulots respectifs. Nous avons horreur des inconnus, des imprévus et de tout ce qui vient avec. Certes, notre bout de rue est public, donc ouvert à la circulation; mais nous avons quand même le droit de contrôler un peu ce qui s’y passe. Surtout devant la maison. Autrement, nous ouvrons la porte aux dérives les plus folles. Passe encore avec les voisins: on les connaît sans que ceux-ci ne sachent vraiment qui on est; et avec eux, on sait qu’on n’a rien à craindre. Mais pour ce qui est des clients patients potentiels de la polyclinique voisine, ces inconnus, non ça, jamais. Pour nous, c’est tolérance zéro.
Ce qui m’inquiète le plus par contre, c’est de savoir que quelqu’un nous épie. Que quelqu’un qui m’en veut a sûrement pigé un truc sur notre vie et cherche à en tirer parti. Comment expliquer autrement la disparition de mon cône orange? On s’entend: on parle ici d’un truc un tant soit peu banal que l’on retrouve un peu partout dans nos rues. Pourquoi le mien? Pourquoi celui-là en particulier? Je ne sais pas. Mais je ne vois rien d’innocent dans ce geste. Quelqu’un quelque part a flairé quelque chose et tente de nous dire quelque chose. Et ça m’inquiète.
Bon, j’avoue que partir aux trousses d’un intrus qui ose vouloir déplacer mon cône orange pour pouvoir obtenir une place de stationnement gratuite à quelques pas de la polyclinique, avait quelque chose d’un peu surréaliste. Il aurait d’ailleurs été préférable dès le départ d’oublier cette idée de cône; de rester discrète et de se contenter de prendre en note le numéro de plaque d’immatriculation du véhicule de celui ou de celle qui choisit de stationner devant chez moi. Nous avons d’ailleurs en notre possession tous les outils nécessaires pour le faire. Et c’est probablement ce que Sébastian aurait fait: pourquoi s’exposer ainsi inutilement, ça ne peut que risquer d’éveiller des soupçons. Mais bon, c’était plus fort que moi. Je me disais que tant qu’à être assise devant ma fenêtre à travailler sur mon portable, il valait mieux tenter de combiner l’utile à l’agréable; d’autant que de tabuler les numéros de plaques ça devient lassant à la longue. Et puis bon, c’est aussi super génial pour l’égo. Sauf que là, maintenant, je ne suis pas plus avancée qu’avant, même que je recule. Comme dirait ma mère : « so klug als wie zuvor, neine Tocher Martha ». You bet my little pet. You bet. Und ob!
On fait quoi maintenant? Je ne sais pas; il faut que j’y réfléchisse. On s’en reparle à la prochaine chronique. Par contre, pas question de remplacer le cône, ni de revenir à cette pratique d’intimidation ouverte des intrus, tant et aussi et longtemps que je n’ai pas trouvé le coupable. Quelqu’un nous épie et je veux trouver qui. C’est une question de survie.


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