

Ceux et celles qui me connaissent savent que j’ai souvent le nez en l’air. Non pas que je sois snob; mais plutôt parce que j’adore regarder en l’air, tout simplement. Ça me change des imprimantes, des bourrages de papier et de tout ce qui concerne la tribologie en général. La tribologie, qui est l’étude des phénomènes de friction, de lubrification et d’usure entre des surfaces en mouvement, est fondamentale quand on cherche à comprendre le fonctionnement intrinsèque d’une imprimante. Dans une imprimante, par exemple, vous avez des feuilles de papier. Beaucoup de feuilles de papier. Qui filent à toute vitesse en suivant un parcours très précis. Recto par-ci, verso par-là, à droite à gauche, en haut, en bas, avant de se retrouver coincées pendant une milliseconde entre deux rouleaux compresseurs chauffés à plus de 180 degrés Celsius, qui ont pour mission de faire fondre le toner et de l’incruster pour toujours dans les fibres du papier. Fermez les yeux un instant. Dites-vous que l’imprimante n’est en fait rien d’autre qu’une chambre de torture où l’on brutalise sans vergogne de fragiles feuilles de papier. C’est un microcosme infernal, un ballet diabolique de surfaces en mouvement plus ou moins flexibles, qui doivent se faufiler à toute vitesse le long de passages étroits et sinueux, avec une précision d’exécution hallucinante. Ici, tous les éléments sont en place pour, qu’à tout moment, survienne une catastrophe. Et pourtant, ça fonctionne, comme si de rien n’était. Voilà de la tribologie 101 à l’état pur, où les phénomènes de friction entre les surfaces en mouvement sont rigoureusement contrôlés de façon à maximiser un cheminement harmonieux du papier au sein de l’imprimante. Enfin presque. Parce qu’une imprimante, parfois, ça bourre; ça « jam » comme dirait les Anglos. Et c’est là que le bât blesse. Que tout s’arrête, que les drames se nouent et que les frustrations s’empilent.
Personnellement, ça fait une vingtaine d’années que j’étudie les phénomènes de bourrage de papier dans les imprimantes; que j’insère mes mains entre des surfaces brûlantes, sales et parfois coupantes, pour tenter de comprendre ce qui s’est passé au juste. Avec mon mentor, le professeur du Click, de la faculté de génie de l’Université McGill, et son équipe d’étudiants post-doctorants, nous recréons, jour après jour, des bourrages de papier sur différents modèles d’imprimantes, en utilisant différents substrats, en jouant avec la température et le taux d’humidité ambiants. Notre labo est financé par le Conseil de recherches du Canada qui y voit là un outil essentiel pour augmenter la productivité dans les entreprises. Rien, par contre du côté de l’industrie, car nos recherches peuvent possiblement éliminer à plus ou moins terme la nécessité de remplacer les imprimantes, une fois la recette magique trouvée.
Mais voilà. J’en ai marre de la tribologie; marre de ces études sans fin de ce professeur émérite à la recherche de cette foutue imprimante idéale, celle qui ne bourrera jamais, une pure utopie selon moi. Marre d’être enfermé du matin jusqu’au soir dans ce labo qui pue le toner périmé et le papier moisi; marre de tenter de communiquer le fruit de nos recherches à tous ces étudiants de premier niveau pour qui imprimer est le dernier de leurs soucis.
Alors j’ai claqué la porte du labo et j’ai quitté pour un monde meilleur. Celui des grands espaces et des ciels ouverts. Tant pis pour vous, tant pis pour du Click et sa clique de pseudo savants. Maintenant, je préfère garder le nez en l’air et scruter le ciel à la recherche, par exemple, du premier avion venu. Découvrir d’où il vient, où il va, qui il est. Et je me sens beaucoup mieux ainsi.


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